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21 mai 2018

Lettre d’appui aux revendications des chauffeurs d’autobus scolaire

Je suis chauffeur d’autobus scolaire. C’est pour moi un travail merveilleux et enrichissant. Année après année, j’ai la chance de voir « mes » enfants grandir, de la maternelle à la 6e année, puis au secondaire. Des liens se créent. Le chauffeur d’autobus est le premier et le dernier adulte, hormis ses parents, que l’enfant voit le matin et le soir. Quand je vois l’enfant embarquer, je sais tout de suite si ça va bien à la maison. Ou pas. Et je peux agir en conséquence. Oui, c’est une job merveilleuse. J’ai tellement aimé ça que j’ai écrit un roman qui en parle (les terroristes). 

Mais c’est quoi, la job ?

C’est facile, disent certains : il suffit de conduire.

Ben oui. Conduire un véhicule lourd dans le trafic, beau temps, mauvais temps, sous la neige et le verglas. Conduire en tenant compte des autres qui sont trop pressés pour respecter mon panneau d’arrêt. « Je ne t’avais pas vu », m’a-t-on dit parfois. Comment ne pas voir un gros autobus jaune qui flashe comme un arbre de Noël ? Une de mes élèves est déjà passée à un cheveu de se faire écraser. Mon coup de criard l’a sauvée in extremis.

Je pars donc le matin dans mon autobus jaune et frette. 70 enfants dans le dos. Certains parents virent fou avec leurs deux enfants en auto. Des profs m’ont déjà fait remarquer qu’ils ne pourraient pas faire ma job : « Trois classes et demi et tu leur tournes le dos ? Ben voyons ! » Sans compter les enfants à besoins particuliers, sous médication (ça ne fait pas encore effet à cette heure-là).

Puis il y a l’autre partie de la job : gérer les conflits, moucher des nez, prêter des crayons, consoler (on m’a déjà « dompé » dans les marches un gamin en crise), ramasser le vomi, réparer des bobos, gérer l’intimidation, vérifier que quelqu’un est là pour les accueillir à la maison. On y va même malade : il n’y a personne d’autre pour le faire et il y a 70 enfants qui attendent sur le bord du chemin.

Comme les éducatrices, les profs et les directions d’école, on subit les récriminations des parents. Par contre, nous ne faisons pas partie de « l’équipe-école » et nous n’avons pas le support qui vient avec. Les commissions scolaires laissent cette responsabilité aux mains du privé. Exemple : une élève gravement allergique, epipen autour de la taille. Les profs sont formés pour intervenir. Nous, non. D’ailleurs, on n’a pas de cours de RCR en étant seul avec 70 enfants.

De plus, au Québec, il y a une journée de reconnaissance des profs, une journée de reconnaissance des adjointes administratives, une pour les concierges, mais pas pour les chauffeurs.

Outre la responsabilité des enfants, il y a tout ce qui régit un opérateur de véhicule lourd ainsi que tout ce qui est dans le contrat avec la commission scolaire. Facile de manger sa paie si un contrôleur routier trouve une défectuosité que vous n’avez pas vue, si vous faites la moindre erreur au volant, ou encore si la commission scolaire décide de vous donner un ticket de 200 $ parce que vous avez embarqué un jeune qui n’avait pas d’affaire là.

Bref, non, il ne s’agit pas juste de tenir un volant.

Mais c’est quoi, les conditions ?

C’est bien simple, il n’y en a pas.

Je ne veux pas blâmer les transporteurs : ils doivent faire avec ce qu’on leur donne, ils ne peuvent pas couper sur le prix de l’autobus, ni sur les réparations, ni sur le fuel, que reste-t-il à couper ?

On travaille de 7 h du matin à 17 h le soir, avec des horaires coupés, mais on n’est pas à la STM : on est payé pour conduire, pas pour l’attente. Malade, on y va quand même. Si vraiment on ne peut pas, on n’est pas payé. Pour un salaire inférieur au seuil de faible revenu. Presque tous les chauffeurs que je connais sont soit des retraités, soit des gens qui cumulent un ou deux autres emplois pour arriver. De leur côté, les transporteurs en arrachent pour trouver des chauffeurs.

On peut toujours se battre pour de meilleures conditions, mais auprès de qui ? Encore une fois, le transporteur ne peut rien faire : la crainte de l’appel d’offres qui donnera le contrat au plus bas soumissionnaire (celui qui paie le moins ses chauffeurs) est omniprésente. La commission scolaire et le ministère s’en lavent les mains et d’ailleurs, en cas de grève, la plupart des contrats deviennent caducs après deux jours d’arrêt de travail.

Voilà pourquoi je supporte ceux qui osent faire la grève, voilà pourquoi je revendique une enveloppe dédiée aux conditions de travail des chauffeurs, voilà pourquoi je demande aux parents et au personnel des écoles de supporter ceux qui exercent cette profession qui occupe une place importante dans le quotidien de nos enfants.

En grandissant, les enfants se souviennent tous de leur chauffeur d’autobus !

Grégory Thorez

Chauffeur d’autobus scolaire

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