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10 août 2018

Professionnelles en soins en invalidité : le mauvais traitement réservé à celles qui sont tombées au combat

par François Morin, infirmier clinicien à l’urgence de l’Hôpital de Notre-Dame-du-Lac et Vice-Président secteur ouest du FIQ SPSICR-BSL

« Depuis les premiers balbutiements de la réforme du réseau de la santé mis en œuvre par le Ministre Barrette, plusieurs intervenants du milieu de la santé ainsi que des citoyens ont dénoncé les aberrations et les ratées de ce remaniement majeur du système de santé québécois. Après quatre années passées à la tête du Ministère de la santé, le Dr Barrette laisse derrière lui un système de santé et de services sociaux affaibli et plus centralisé que jamais. Les services de proximité à la population ne sont maintenant que des lubies du passé, et ce, malgré le fait que le ministre se félicite en disant avoir optimisé le système de santé.

Les nombreuses coupures dans le réseau et la création des Centres intégrés de santé et de services sociaux ont rajouté davantage de pression sur le personnel soignant, dont les infirmières, infirmières auxiliaires et inhalothérapeutes représentées par notre syndicat. Cette pression continuelle ainsi que la surcharge de travail engendrée par différents facteurs entraînent malheureusement trop souvent des lésions professionnelles. Dépression majeure, troubles anxieux, épuisement professionnel et blessures musculosquelettiques ne sont qu’une bribe des problématiques de santé qui affligent actuellement le personnel soignant du réseau de la santé. Le taux d’invalidité actuel chez les infirmières, infirmières auxiliaires et inhalothérapeutes avoisine présentement les 6% et est en constante augmentation. Cette statistique qui vise exclusivement les professionnelles en soins qui sont actuellement en congé de maladie démontre qu’actuellement plus d’un employé sur 20 est actuellement en arrêt de travail pour des raisons de santé.

Face à cette problématique, la Direction des ressources humaines des différents CISSS et CIUSSS de la province emploient des travailleurs qui ont à s’occuper de la gestion des salariés qui sont en absence pour raisons de maladie. Ces employés des ressources humaines ont à traiter les billets médicaux et formulaires de réclamation des différents employés afin que ceux-ci se voient verser leurs prestations d’assurance salaire, qui représentent leur unique revenu pendant leur congé maladie. Tout le processus de vérification des invalidités est encadré par la convention collective de la FIQ, ce qui veut dire qu’une salariée a la responsabilité de fournir un billet médical, un formulaire de réclamation d’assurance salaire ainsi que toute pièce justificative pertinente en lien avec la problématique de santé. En contrepartie, l’employeur a le devoir de verser les prestations d’assurance salaire.

À titre informatif et pour la bonne compréhension des éléments présentés, je vais expliquer quelques technicalités de la gestion des invalidités. Lors d’un congé de maladie, la convention collective permet à l’employeur de faire évaluer ses salariés par un médecin expert de son choix afin de savoir si ceux-ci sont aptes à retourner au travail. Cette évaluation permettrait de vérifier le bien-fondé de l’invalidité.  Si le médecin expert de l’employeur juge que l’employé est apte à retourner au travail et que le médecin traitant de ce dernier est d’avis contraire, il y a un litige et c’est à ce moment que la procédure d’arbitrage médical s’enclenche. Celle-ci consiste à convoquer l’employé à un examen médical chez un médecin spécialiste en lien avec le diagnostic, préalablement choisi après entente entre l’Employeur et le Syndicat. Le médecin arbitre procède donc à l’évaluation médicale de la personne visée par le processus et déterminera si celle-ci est apte à un retour au travail. Si l’arbitre détermine que l’employé n’était pas invalide et qu’il est apte à un retour au travail, ce dernier est contraint de rembourser les prestations d’assurance salaire qui lui ont été versées. Il est à noter que cette procédure est conventionnée et tout à fait légale.

Cependant, notre équipe syndicale a été témoin de plusieurs écarts de conduite et d’un manque d’humanisme de la part de l’employeur du CISSS Bas Saint-Laurent face à la gestion des invalidités de ses employés. En effet, les ressources humaines du CISSS se permettent de remettre en question le bien-fondé des invalidités chez certains employés, qui ont initialement été mis en arrêt de travail par un médecin œuvrant dans les locaux du même employeur. Plusieurs situations fortement questionnables sont alors survenues. En effet, à plusieurs reprises, par l’entremise d’une lettre, l’Employeur a informé des salariés que le diagnostic présenté sur leur billet médical n’était pas recevable, et que pour cette raison, le versement de prestations d’assurance salaire n’était pas autorisé jusqu’à l’évaluation d’un médecin rémunéré par l’employeur. Autrement dit, on ne te paie pas jusqu’à ce que tu voies un médecin qui nous confirme que tu es bel et bien malade… Il est à noter que selon nos observations, ces situations sont survenues principalement dans le cas de diagnostics relevant de la santé mentale (troubles anxieux, trouble d’adaptation, dépression, etc). Ce qui est encore plus atroce et abjecte dans cette situation, c’est le délai avant de rencontrer ce fameux médecin expert de l’employeur. Celui-ci peut aller de quelques jours à plusieurs semaines ! Nous avons observé dans une situation un délai de 3 mois avant la venue dudit rendez-vous médical ! L’employeur prive donc de salaire pendant plusieurs semaines des employés vulnérables, aux prises avec des problématiques de santé mentale pour la plupart. Il prive des mères et des pères de famille d’un revenu leur permettant de subsister et de faire vivre leurs enfants sur la simple supposition que leur médecin traitant leur a fait un billet médical de complaisance. Il est bien certain que d’être sans solde pendant plusieurs semaines alors que la personne est sensée se reposer, récupérer et guérir produit l’effet inverse. Cette décision de l’employeur accable plusieurs employés d’un stress financier immense.

Ce qui est aberrant dans tout cela c’est la flagrante stigmatisation des troubles de santé mentale dans une organisation qui découle du Ministère de la santé et des services sociaux! En effet, dans l’analyse du dossier d’invalidité des employés, des protocoles sont utilisés. Le jugement de l’agent de gestion n’est pas nécessaire puisqu’il conteste systématiquement tout diagnostic inscrit dans sa ‘’Black List’’… Peu importe le nombre d’année de service, peu importe si la personne est en détresse psychologique, si cette dernière a un diagnostic non recevable selon l’employeur, celle-ci sera envoyée en expertise et s’expose à quelques semaines sans solde… En adoptant cette pratique, le CISSS Bas Saint-Laurent contrevient directement aux recommandations émises par le MSSS dans le cadre du Plan d’action en santé mentale 2015-2020 qui indique que le CISSS, qui devrait normalement s’imposer à titre d’employeur exemplaire et mettre en place des mesures favorisant le rétablissement des employés ayant des problématiques temporaires ou permanente de santé mentale fait tout le contraire. Il stigmatise ses employés et leur met de la pression pour que ceux-ci retournent au travail, le tout dans le but de faire diminuer le taux élevé d’absence pour invalidités.

Nous avons été témoins de situations désolantes dans lesquelles des employés se sont retournés travailler dans une condition lamentable, dans un état ou la qualité des soins à la clientèle était compromise, mais ces personnes n’avaient pas les moyens de passer plusieurs semaines sans solde avant de rencontrer le médecin de l’employeur. Nous avons rencontré des employés en détresse psychologique qui étaient submergés par l’anxiété causé par le stress financier après avoir passé plusieurs semaines sans solde. Nous avons vu des salariés se rendre dans une institution financière pour faire une demande de prêt, car le CISSS refusait de leur verser de l’assurance salaire, un régime pour lequel chaque employé cotise de façon bi-hebdomadaire.

Dans certaines situations, après visite auprès du médecin expert de l’employeur, l’invalidité des employés n’est pas toujours reconnue. C’est-à-dire que le médecin payé par le CISSS contredit la décision du médecin traitant et considère que le salarié est apte à un retour au travail. L’employeur ordonne donc le retour au travail. À ce moment, la procédure d’arbitrage médical s’enclenche dans la majorité des cas puisque l’employé en cause ne se sent pas apte à reprendre le travail. Fait intéressant, l’arbitrage médical est aux frais de l’employeur et lui coûte en moyenne 1500-2000$ pour les honoraires du médecin arbitre. Les frais de déplacement de la personne salariée s’ajoutent à ces frais, car ces arbitrages ont lieu à Québec ou à Montréal pour la plupart. Il est également important de souligner que dans la majorité des cas, les arbitrages sont remportés par la partie syndicale. Ce qui représente un immense gaspillage des fonds publics engendrés par le CISSS BSL. D’autant plus que le stress occasionné par le processus et le non versement de l’assurance salaire, dans certains cas, augmente la durée totale de l’arrêt maladie.

En terminant, nous souhaitons grandement que le CISSS BSL s’ouvre finalement les yeux sur les mauvais traitements qu’il impose à ses professionnelles en soins. Comme Syndicat représentant des professionnelles en soins qui ont à offrir des soins remplis d’humanité et d’empathie à leur clientèle, nous souhaiterions que ces valeurs se reflètent dans la gestion des ressources humaines. Si une infirmière traitait ses patients comme l’employeur traite ses salariées en congé maladie, celle-ci s’exposerait à des sanctions disciplinaires. Alors pourquoi serait-il acceptable que le CISSS du Bas Saint-Laurent malmène ses employés malades de la sorte? On parle souvent de pénurie de main d’œuvre dans le système de santé. Ces mesures draconiennes n’ont rien pour attirer de la relève dans le domaine. Je crois sincèrement que les ressources humaines du CISSS auront un important examen de conscience à faire dans un avenir très rapproché… Ils devront renouveler leurs méthodes afin d’éviter que d’autres employés tombent au combat et pour permettre à ceux qui sont amochés de se rétablir. Honnêtement, les professionnelles en soins du Bas Saint-Laurent méritent un meilleur sort. N’oublions pas que les conditions de travail du personnel soignant se reflètent directement sur la qualité des soins donnés à la population. »

François Morin, infirmier clinicien à l’urgence de l’Hôpital de Notre-Dame-du-Lac et Vice-Président secteur ouest du FIQ SPSICR-BSL

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