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01 juin 2022

Mon objectif était qu’on me confirme qu’il n’était pas coupable

LA VÉRITÉ QUI M’IMPORTE - PAS LA VENGEANCE !

Le Dr Guy Dumontet et sa fille Leïla

©Photo : gracieuseté

Le Dr Guy Dumontet décédé en l'an 2000 et sa fille Leïla.

En octobre 1995, mon papa, le Dr Guy Dumontet, anatomopathologiste à l’Hôpital de Rimouski, a été accusé de nombreuses fautes médicales qu’il a avidement contestées pendant cinq années.

Cinq longues années durant lesquelles il a été isolé, humilié, anéanti. Je me souviens des regards furtifs et des sourires embarrassés de ses anciens collègues qui lui ont tourné le dos, gênés d’être vus avec lui. Il adorait s’instruire, adorait l’histoire, les voyages, mais il avait deux vraies amours : sa famille et son travail. Lui qui était un érudit et un premier de classe se retrouvait soudainement trahi par des collègues qu’il avait aidés, toujours respectés et chez qui nous étions parfois allés souper pendant que moi, je jouais avec leurs enfants. Il a été traité de "magouille de Rimouski", de "médecin incompétent", de "danger pour le public". Il a été accusé d’erreurs qu’il disait ne pas être les siennes, a fini par être radié, mais a continué à se battre pour rétablir sa réputation et pour ravoir son droit de pratique, car il se disait innocent, car il se savait rigoureux, car il avait compris qu’il était entouré d’une "clique de crapules", comme il le disait.

Je l’ai vu souffrir de ne plus pouvoir subvenir aux besoins de sa famille, je l’ai vu dépérir. L’été, il cueillait ses groseilles une à une, le jour, il lisait ses revues de pathologie, classait ses fiches médicales, écoutait sa musique dans l’obscurité tous les soirs, dont "Quand on n’a que l’amour" de Jacques Brel, car c’est tout ce qu’il lui restait : l’amour de sa famille. Il avait des idées noires, il pensait fermement que nous serions mieux sans lui ! Il a tenu bon aussi longtemps qu’il a pu jusqu’à un matin de novembre 2000. Il n’en pouvait plus, son corps a lâché ! Un AVC lui prenait sa vie.

Cet automne, plus de 20 ans plus tard, une "brillante" idée m’est venue : rencontrer de ses anciens collègues dont les noms avaient été mentionnés durant toute mon enfance, afin de voir s’ils n’avaient pas des choses à me raconter et s’ils allaient vouloir apaiser un peu leur âme et la mienne. Rendus à 70-80 ans, on doit faire des prises de conscience, non ? (Punch : pas tant, non.) Donc fin février, je me suis plongée dans cette histoire que j’avais très bien rangée, parce que j’avais 8 ans quand ça a commencé, parce que toute ma famille a un peu tenté d’oublier, mais ça ne faisait que somnoler en moi. Les dommages collatéraux ont été nombreux, même après sa mort. Cela a fait en sorte que je suis entrée en contact avec une vingtaine de personnes de ma famille, de notre entourage de l’époque, d’anciens avocats, des journalistes, d’anciens employés de l’hôpital, des médecins… bref, j’ai contacté le plus de gens possible. J’ai cogné à plusieurs portes, parfois des mauvaises, mais aussi des bonnes, m’amenant à parler à des personnes qui ont participé à cette histoire et qui connaissent la vérité. Encore aujourd’hui, le nom "Dumontet" en rend plusieurs nerveux.

Mon objectif était qu’on me confirme qu’il n’était pas coupable de tout ce dont on l’accusait et de comprendre pourquoi lui. Le résultat est que j’ai parlé à des hommes et des femmes qui semblent être restés ceux qu’ils étaient il y a 20 ans. Un m’a menti pendant 45 minutes et m’a raconté des ragots, un autre, pris au dépourvu et se sentant menacé, s’est montré sur la défensive, m’a demandé si je voulais écrire un livre et m’a dit que je n’étais pas la fille chouchou de mon père, tout en pointant la faute sur d’autres personnes. Un troisième, prévenu par son ancien collègue à qui j’avais donné mon numéro, l’a bloqué ; j’ai dû l’appeler via un autre téléphone pour l’entendre me dire qu’il avait des choses plus importantes à faire que de parler de mon père.

J’ai cogné à leur porte sans animosité, avec le cœur sincère et un sourire cachant beaucoup de nervosité et d’espoir, espoir que je voir bien naïf, aujourd’hui. Même chose à mon départ, alors que ce même sourire cachait alors une profonde déception. Mais presque tous, à la fin, m’ont parlé avec fierté de leurs enfants et petits-enfants. Bien, moi aussi, je suis la fille de quelqu’un. Je suis la fille du Dr Guy Dumontet, un homme infiniment généreux, droit, loyal — sans doute un peu trop — et un excellent pathologiste qui a peut-être commis des erreurs durant sa carrière, comme n’importe qui, mais j’ai bien compris qu’on s’est acharné sur lui et qu’il a été la victime parfaite. J’ai assemblé quelques pièces du puzzle. J’ai compris que plusieurs groupes de requins y ont vu leur avantage. J’en veux aux manigances, à l’hypocrisie, au manque de courage et au silence, qui perdurent encore aujourd’hui. Tous savent que cela a précipité sa mort, mais je ne leur en veux pas autant que je le pourrais et le voudrais, et je dois me montrer plus honorable qu’eux, car c’est honnêtement pour mon père que j’ai entamé tout cela ; malgré son absence et le temps, je lui serai toujours loyale. Ils m’ont déversé un flot de négativité en plein visage, j’ai eu des renseignements qui m’ont frappée de plein fouet, mais je me suis rapprochée de la vérité.

Comme des bouteilles à la mer, j’ai décidé d’envoyer quelques lettres en espérant qu’elles trouveront écho. J’étais déterminée à les confronter à leur passé, je reste inébranlable dans mes convictions et je serai toujours combative face cette injustice, mais le temps venu, que ça me plaise ou non, je vais leur pardonner. Je vais tous vous pardonner. C’est la vérité qui m’importe, pas la vengeance.

Leïla Dumontet

Montréal

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